A découvrir pasque c'est bien...

Publié le par Milène se déchaîne

Aujourd'hui, j'invite sur mon blog, une féroce mais néanmoins talentueuse concurente d'écriture, j'ai nommé la croqueuse de mots qui sait aussi les cracher quand il faut: LYNETTE
Bonne lectures à vous.

                                            LE VOISIN DU 4ème

Le voisin du 4ème, je l’ai toujours trouvé bizarre. Bizarre, dans le sens étrange, extravagant, à la limite du fantasque mais loin, très loin du fantasme. C’est pourquoi ce qui lui est arrivé ne m’a surprise qu’à moitié, et encore, le tiers de cette moitié serait plus exact.

Il s’habillait toujours de la même façon, avec des vêtements dignes d’un autre âge, celui qu’on appelait moyen : une chemise à jabots blanche, avec les bouts de manche en dentelle qui vont bien, un pantalon noir un peu bouffant avec des lacets sur les côtés, comme s’il prévoyait d’y mettre des chaussures, un chapeau en feutre à la Robin des Bois, et un long manteau difforme, que je ne saurais donc vous décrire mais qui était noir aussi, bien sûr. Il portait tout ça avec des baskets Nike rouges à lacets verts énormes, taille 46 au moins, ce qui ajoutait à l’excentricité de l’accoutrement. Cette touche de moderne dans ce piano vestimentaire médiéval m’intriguait tout autant qu’elle heurtait mon sens oculaire, ma vue quoi, parce que le résultat était une faute de bon goût évidente.

Il ne disait jamais bonjour, ou du bout des lèvres. Il donnait l’impression de vivre sur une autre planète. Quand on le croisait dans l’escalier ou en bas dans l’allée, il avait toujours l’air renfrogné, la tête baissée, comme si les malheurs pleuvaient sur lui à longueur de journée et qu’il n’avait pas de parapluie. Souvent, on le voyait marmonner dans sa barbe, et comme il n’en avait pas, ça faisait comme des vrais sons, comme s’il nous parlait. Je n’ai pour ma part jamais rien compris à ce qu’il disait, malgré la grande tension de mes oreilles. Le discours tenait plus du schlamfuloiktufflelkjmqlerh que de la syntaxe approuvée par l’Académique française. Fréquemment aussi, la frénésie de la danse le prenait, et on le voyait entamer une chorégraphie assez cocasse qui se déroulait toujours de la même façon : une série de petits sauts de cabri d’abord, comme si la joie l’avait atteint d’un coup en plein corps sans raison apparente, suivis de petits moulinets avec les mains, dix dans un sens, dix dans l’autre, puis les sauts de cabris encore, etc. Cette danse curieuse pouvait durer cinq bonnes et vraies minutes, ce qui n’a l’air de rien comme ça, mais croyez-moi, cinq minutes dans ce genre de situation, ça vous parait une éternité. Parce que ça met mal à l’aise à la fin, on ne sait pas quoi faire devant un tel spectacle, on ne sait pas si on doit intervenir, si on doit appeler et qui, les pompiers, la SPA, les urgences psychiatriques, ou notre mère. Alors souvent on finit par regarder ses pieds, et on se dit qu’on abuse quand même, qu’on aurait pu cirer ses chaussures avant de sortir.

D’où la propension de certains, et ils sont nombreux dans la résidence, à le prendre pour un fou, ce dont je n’étais pas persuadée. Certes, j’ai toujours trouvé qu’il avait un grain, ce voisin, quelque chose qui ne tournait pas rond. Ca se voyait dans son regard, quand on arrivait à accrocher celui-ci, un regard qui manquait de sérénité, des yeux qui avaient du mal à se fixer et qui avaient tendance à se barrer sur les côtés. Mais de là à le considérer comme un fou candidat pour l’asile, faut pas pousser le bébé dans les orties avec l’eau de son bain. Je pense qu’il était plutôt du genre doux dingue, un original préférant le silence à la bêtise crasse qui l’entourait, un non conformiste se réfugiant dans la planète qu’il s’était inventé pour oublier que la nôtre était en train de mourir de ses excès.

Peut-être aussi et certainement qu’il abusait du bédo, rapport aux plantations qu’il cultivait à foison dans les jardinières de son balcon et pas que discrètement. Tout ça leur faisait peur, aux gens de l’immeuble, la folie du voisin, la Marie-Jeanne du balcon et tout ce qui en découle, les visites des dealers, le cartel de Medellin, le trafic d’armes, la traite des blanches … La morale judéo-chrétienne en prenait pour son grade et ils se seraient bien débarrassés de l’intrus. Moi, je l’aimais bien finalement, la bizarrerie de notre voisin, je la trouvais même nécessaire à cet immeuble imbu de sa personne et empêtré dans ses certitudes petites bourgeoises.

C’est pourquoi j’ai été triste d’apprendre qu’on l’avait retrouvé mort ce matin dans sa cave, étranglé par des mains qu’on devinait grosses, velues et bêtes comme des pieds. De là à penser que c’est un voisin qui a fait le coup …

Publié dans Textes

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M
<br /> Et l'enquete a abouti?<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Il faut aller demander à Mrs.Lynette...<br /> <br /> <br />
P
<br /> vi, je confirme, à découvrir (même si je débute en Lynette, hein, mais c'est un début prometteur ;o)<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Bah oui faut qu'elle y aille la petite!<br /> <br /> <br />