Salut l'artiste

Publié le par Milène se déchaîne

 

 

Pourquoi fait-on les choses ? Pourquoi aime t’on des gens et pas d’autres ? Pourquoi fait-on des efforts pour être aimé ? Pourquoi s’enchaîne-t’on aux autres avec autant de plaisir ? Et la question suprême, la question de toutes les questions, la genèse et la question finale, pourquoi se sent-on toujours si seul ?

Un certain 21 juin 2003 rencontrais-je un pote, pas plus pas moins, la date n’est pas exactement la date de rencontre réelle mais ce 21 juin 2003, été caniculaire s’il en est, passé-je une soirée mémorable, une nuit entière pour être exacte car je me souviens que même les oiseaux attendaient qu’enfin nous arrêtions le micro pour piailler en toute liberté et que même les fleurs attendaient pour s’ouvrir qu’on aille enfin se coucher mais pour les gens comme moi, repousser la nuit est une question d’honneur, je trouve toujours de la ressource pour ne pas aller me coucher. Quand tout est réuni en une sorte de symbiose, une sorte de banquet des dieux je répugne à aller perdre mon temps dans un sommeil sans rêves parce que alcoolisé.

Nos nouveaux voisins fêtaient leur pendaison de crémaillère et tout était parfaitement réussi pour une fête de voisinage ; un buffet gargantuesque, des litres d’alcool, un vrai groupe de rock et même un feu d’artifice. Mon nouveau voisin un personnage qui aurait pu être tout droit sorti d’un roman de Frédéric Dard, un nommé J. un flic assez atypique venu tout droit du sud, avec un charmant accent et un ton grave, parfait pour raconter des anecdotes.

Un flic paumé, sur le déclin, dépressif et surtout alcoolique ; lui n’aimait pas non plus que la nuit gagne sur lui. Il me parut tout de suite sympathique et je le rangeai directement dans la catégorie des loosers magnifiques, catégorie suprême pour les écrivains qui comme moi adorent ce genre de personnages, qui même bourrés au dernier degré ont toujours le bon mot au bon moment.

Le matin, on le croisait, il tremblait ainsi que le midi et le soir mais il ne s’éloignait jamais disait-il de « la source », magnifique invention des vigneries, la source en carton et poche plastique qui permet de ne jamais manquer ou presque du précieux nectar qui enivre à pas cher et tiens bien moins de place que des dizaines de bouteilles ( et fait bien moins de bruit). Habitant un studio très propre et confortable, il préférait néanmoins vers la fin de son séjour ici s’isoler dans la caravane qu’il avait fait rapatrier juste en bas du studio et où il méditait et si l’on s’approchait doucement, on pouvait entendre le bruit délicat d’une petite cascade de vin rouge descendant dans son verre…

Je l’ai connu, son destin sans doute se dessinait déjà mais peut-être se supportait-il encore un minimum pour que l’on ne cesse de se rencontrer en couple, de s’inviter à « manger » bon prétexte pour picoler et passer du bon temps ensemble. Au commissariat où il se faisait de plus en plus rare pour cause de dépression, on l’avait relégué au fin fond d’un bureau où il n’y avait pas grand-chose à faire et ses collègues lassés de ses absences l’avaient mis peu à peu en quarantaine, il glandait ou cuvait. Des fois, il arrêtait de boire et on aurait dit le Mahatma Gandhi ou le Dalaï Lama mais l’appel était trop fort et déjà il rebuvait plus qu’avant qu’il n’arrête. Il avait du talent pour l’écriture, pour la musique. Un peu moins  pour l’amour et l’amitié, ce qui peu à peu lassa ses amours et ses amis ; attention, ceci n’est pas un jugement, on ne peut pas être doué pour tout, on n’est pas Dieu…

Témoins impuissants de son inéluctable descente aux enfers, sa femme n’eut d’autre choix que de le quitter pour sauver sa peau et, ses amis finirent par se brouiller avec lui face à ses comportements plus qu’irrationnels ; un à un il était en train de poser les jalons de sa chute ; ne plus rien avoir pour ne rien regretter. Il tenta bien, lui qui se laissait dériver depuis un bon moment, de s’accrocher à une bouée de sauvetage pour reprendre son souffle et peut-être arriver à rejoindre la rive.

Une nouvelle femme, un peu d’oxygène, oui, peut-être un nouveau départ ? Un sursaut de vie l’agitait, il fallait le saisir, une émotion l’avait fait frémir lui qui avait toujours couru après ces satanées émotions, bonnes ou mauvaises…

Lorsqu’on m’a dit qu’il avait essayé de se suicider, j’ai rigolé, surtout quand j’ai su comment, une bouteille de gaz ouverte dans sa voiture close, j’ai dit : «  Le connaissant, il a laissé les fenêtres ouvertes ! ».

Bah non, pas cette fois. Il est mort pour de vrai, même pas peur !

Les gens qui le connaissent sont soit en colère, soit tristes un peu, soit indifférents moi ça m’a rendu immensément triste plus que de raison pour un simple « pote » ouais peut-être mais c’est la première fois que je perds un simple  « pote » avec qui j’avais passé des nuits à boire et à refaire le monde, à l’écouter chanter sa chanson fétiche très sérieusement et d’ailleurs très bien « L’enfant d’un autre » chantée par Serge Lama et écrite par Alice Dona et preuve que quand on aime ce genre de chanson, on n’est pas tout à fait pourri et idiot. Je ne suis plus en colère contre ceux qui font ça, ceux qui se suicident, qui se donnent la mort, je ressens juste de plus en plus leur grand désarroi bien souvent cachée par l’élégance de leurs rires et la fréquence de leurs frasques. Peut-être sont-ce les seuls êtres qui échappent à l’implacable logique de vie de la création, lutter pour survivre, tuer pour survivre… Tant de personnalités du monde du spectacle sont partis au fil des ans et ça me rendra toujours plus triste qu’un capitaine d’industrie ou qu’un homme politique qui casse sa pipe, mais pour moi, J. en faisait partie, du spectacle, et c’est le chapeau bas que je te dis J : salut l’artiste…

 

 

 

 

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